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« Ilena. »

4 Novembre 2014, 20:15pm

Publié par Baâroun Thaïma

« Ilena. »

Cette gare, c'était son domaine. On pouvait la trouver là, toujours au même endroit, chaque après-midi, assise sur le banc à scruter les passagers qui descendaient et montaient dans le train pour partir ailleurs, pour partir loin.

Ilena, elle s'appelait. Aucun âge, nous ne pouvions lui donner. Elle avait de longs cheveux blonds qui revenaient sans cesse devant son visage amaigrit, une frêle silhouette qui se dessinait dans la lumière douce et veloutée du coucher du soleil lorsqu'elle repartait chancelante, le soir, après des heures d'attente restées vaines.

Les gens la regardaient avec pitié, certains avec compassion. Cette jolie fille qui occupait ce banc et qui ne semblait y renoncer qu'à la tombée de la nuit, lorsque la fatigue accablait les uns, lorsque la lassitude saisissait les autres, lorsque les bruits cessaient, lorsque les lampadaires s'allumaient, lorsque personne n'était venu.

Tous l'observaient timidement du coin de l’œil en attendant sur le quai. Personne n'avait osé s'asseoir à ses côtés, lui tendre une main ou même seulement parler avec elle. Ilena avait le cœur lourd, le cœur abîmé. Le cœur détruit par le manque qui la ronge, l'absence d'un amour qu'elle a voulu éternel mais qui n'a eu comme unique courage que de s'enfuir et de la laisser seule.

Depuis combien de temps attend-t-elle ici ? Un mois ? Un an ? Dix ans ? Un siècle ? Une éternité ? Ou peut-être juste une vie, la sienne. Celle dont tout le monde se fout, celle que tout le monde ignore. Elle qui a si peu d'importance.

Ilena a attendu dans cette gare, elle a scruté tous les regards. Elle a eu de nombreux mirages, quand elle a cru que c'était lui, quand elle a sentit son cœur s'enflammer, quand elle a couru vers ces hommes qui se révélaient n'être que des inconnus. Un sourire qui ressemblait au siens, un rire mélodieux, une chanson qui rappelait leurs moments passés ensemble, une silhouette, une coupe de cheveux... si peu et pourtant tellement pour elle. Tellement, que ça lui donnait des ailes.

Elle ne s'est jamais lassé d'attendre, elle a toujours eu cette flamme d'espoir qui brillait dans son cœur. Un jour, elle a même dit qu'il était toute sa vie. Qu'elle n'avait rien d'autre à faire que de l'attendre, sans lui, tout était de noir et de blanc, sans lui, plus rien n'avait de sens.
Sans lui, elle se sentait vide, elle se sentait morte.

Ilena...

Alors elle vivait pour le revoir. Même si les gens ne comprenait pas, elle s'en fichait. Ce qu'elle voulait, c'était ces quelques jours que l'on aimerait avoir lorsqu'un proche nous quitte, ces quelques jours supplémentaires qui lui permettrait de lui dire toutes ces choses qu'ils ne se sont pas dîtes.
Et puis le temps a passé, les heures se sont écoulées, les années aussi. Ilena a vieilli, des rides ont sillonné son visage mais elle l'attend toujours, sur ce banc, au fond de cette gare dans laquelle elle a cru tant de fois l'apercevoir.

*

Ce matin, ils ont retrouvé un corps dans la gare de la ville. Celui d'une femme prénommée Ilena. La fatigue a eu raison de son vieil âge. Il ne reste d'elle qu'un corps frigorifié, inerte, mais aussi un cœur qui n'a battu que pour un seul homme.
Elle ne l'a jamais revu, Ilena. Elle l'a toujours attendu et elle est morte en l'attendant. Elle avait dit qu'elle souhaitait finir ses jours en pensant à lui, mais surtout, elle ne voulait pas trahir cette promesse qu'ils s'étaient faîte autrefois :

S'attendre.

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